Première L’infiniment soi

Pour la première fois, NYHAMABETSAKA, expérimente dans les salons de l’Artothèque la mise en espace de son installation L’INFINIMENT SOI. Elle tente une ultime réconciliation de l’homme avec la nature nécessaire. Sa fabrique donne forme et fait apparaitre les vestiges d’une archéologie des rituels dont elle connait le secret, en dehors des sentiers battus de l’esthétique foisonnante et redondante des contrefaiseurs. Elle collecte, assemble, arrange et réorganise le plus souvent dans un tissage minutieux pour faire apparaitre d’étranges « objets de transes », … En peignant longuement et rajoutant çà et là de longues mèches noires, elle murmure encore des prières magiques dans la langue de toutes les mythologies sociales, comme si elle voulait exalter le pouvoir des fétiches avant que l’on se désagrège dans les cendres de la consumation de nos corps.

Elle nous parle d’une mystérieuse chambre verte où sont enfermée ses sœurs … les déesses aux longues tresses noires semblent fouetter le sol, comme ces sorcières qui frappaient la terre mère de leurs bâtons magiques, une sorte d’exhortation afin de conjurer les mauvais sorts. Telles des Moira, ces tisseuses des destins des hommes et de l’univers. Car au-delà du pays d’atlas, elles dansaient jusqu’aux levés des soleils pourpres, leurs peaux avaient la douceur du cuivre dans le miroir de « l’éther » (1) brillant …

Comme un même souvenir, elle nous raconte ce jardin calli-édénique là où va se réfugier l’éther de nos âmes … Elle [ef- fieure] les parfums délicieux qui voyagent depuis le lointain, dans les lumières chlorophylles. Peut-être avons-nous une parcelle de ce jardin au cœur de nos êtres, qui était autrefois ce paradis que nous avons déjà perdu dans la nuit sidérale. Elle questionne plutôt le prolongement de notre existence, nous transporte dans cet au-delà de la mort et de l’évanouissement de toutes les matières, un jardin de l’errance de nos êtres … Autour, des Adiantum capillus vénéris, les capillaires de porcelaine des guérisseurs, plus fragiles que la blancheur cathédrale, figés par l’incandescence du feu, murmurent des mots indicibles …

Elle nous montre ses mains aux stigmates millénaires pour nous annoncer « l’humanité mutante », se mains tendues désespérément pour nous emmener avec elle, pour nous transporter dans le monde extraordinaire où se transfigurent ses membres hypertrophiés, ultime pose dans le dernier théâtre d’ombres noires, de l’autre côté de l’image, la figuration d’un bestiaire fantastique. Ses mains d’une llithye qui rêve encore du temple sacré, où l’on brulait les encens et le camphre à la blancheur sucrée, dans des lumières intenses, derrière le voile céleste, l’ensecret des Suthradara …

Plus loin, une structure immobile, gardée par l’esprit du prince parfumé (2), le secret de Dieu qui perpétue l’éternité, nous révèle une sorte de métaphore du bulbe capillaire voulant évoquer le sablier du temps ; réceptacle du cinquième élément. Des fibres capillaires, tressées finement semblent accomplir un même cycle… L’instrument, distillateur de Dieu [Al-ambic], où se fabrique toute la substance du monde, [le feu qui s’éteint, l’eau qui s’évapore, l’air qui s’épuise et la terre qui se change en poussière …] (3) Afin que se dégage enfin l’éther parfait, invisible, élixir du recommencement des mondes qui nous survivent après la mort …

Dans la pièce silencieuse … elle nous apparait dans un léger flottement comme si « l’éther » animait encore son autre destinée, son visage s’est effacé derrière ses longs cheveux noirs, seul, son corps absenté, se dresse au-dessus comme le palimpseste d’un autre présent. La mue capillaire survit encore, après, dans cette totale désintégration de sa substance charnelle découvrant l’abandon de sa pudeur, s’affranchissant ainsi du vertugadin désuet. Ces longues tresses tissées dans la même matière noire s’approprient un nouveau territoire utopique, comme un autre corps social en révolution, bousculant la mode nous conformant au blond vénusien ; contrepied radical au « white fashion week ». La mue capillaire s’élabore intimement avec sa propre énergie dans un tissage réorganisant en nappes serrées une silhouette transmutante, une sorte de « Dress code capillaire » poursuivant sa destinée dans l’ombre rebelle d’Angela Davis … Laissant transparaitre un nouveau genre céleste semblable à la promesse d’une universalité.

(1)       L’éther et la théorie de la relativité, Albert Einstein, conférence à l’université de Leyde 1920.

(2)       Zanahary dans la langue malgache.

(3)       Extrait de la conversation d’Apollonios avec Jésus cherchant le chemin du jardin de Daphné, dans [homme qui devint Dieu, par Gerald Messadié 1990.

Alain Padeau,

Saint-Denis, Ile de La Réunion, Février 2015

Extrait du catalogue « L’infiniment soi »