Zombri

Fred Theys a aujourd’hui 37 ans. Lauréat d’un DEA en Informatique et Intelligence artificielle en 1997 rien ne le prédestine à une carrière artistique, si ce n’est une grande sensibilité et une recherche permanente de liberté dans sa façon d’être au monde. Les aléas de la vie pousseront Fred Theys à canaliser sa sensibilité dans la création artistique pour, petit à petit, s’inventer un nouveau chemin. Très tôt passionné par l’art, il passe beaucoup de temps à étudier les œuvres et les écrits d’artistes aussi divers que Dubuffet, Antonin Artaud, Picasso, Dali, Basquiat, Ousmane Sow ou Anselm Kiefer.

La liberté d’expression qu’il découvre dans l’art, plus particulièrement dans les œuvres d’Art Brut, sera pour lui décisive. Après une longue période d’imprégnation, il commence à peindre en 2003.

Artiste prolixe, ses premières toiles sont un exutoire. L’acrylique lui permet de travailler dans la spontanéité et la rapidité, par couches superposées. La couleur structure ses compositions et redonne un équilibre à sa vie. D’expérience en expérience, l’apprenti sorcier fait ses armes et acquiert une maîtrise de son art. Liberté, intuition et sincérité guident son élan créatif sur de grandes toiles.

Dans les premières œuvres ici présentées (2007), les couleurs vives et les compositions aériennes dégagent d’emblée une sensation de légèreté enfantine. Mais si notre esprit se laisse aller à cette douce invitation, notre chair bientôt souffre de voir ces corps qui s’effacent, se dispersent ou se déchirent. Hésitations … Ces êtres qui tantôt prenaient leur envol semblent maintenant trébucher.

Puis apparaissent les Zazous, comme une respiration.

Les Zazous murmurent à l’oreille de l’artiste cette mystérieuse continuité entre l’individu et la nature. Compagnons des Hommes distraits, initiés à la contemplation oisive et hasardeuse, ils sont là où on ne les attend pas, au détour d’un chemin, dans le creux d’un arbre, au revers d’une feuille …

Les Zazous disent une façon d’être. La pertinence de leur mode de vie, adapté au milieu qu’ils occupent, nous interroge sur notre relation et notre place dans l’environnement. Lorsque l’artiste revient à ses toiles, fort des murmures des Zazous, c’est pour explorer un peu plus ces correspondances entre corps et matières.

« La toile de jute représente pour moi le tissu interne du corps humain. J’y colle des résidus de matières, comme des traces du passé. Enfin je recouvre le tout de papier de soie, une peau fragile et douce. Puis arrivent les matières naturelles, lavées de leur contenu, sur des teintes brou de noix … Ce processus, qui n’est pas étudié en fonction de sa symbolique, se construit instinctivement. C’est presque dans un état de transe, sinon d’extrême sensibilité que je parviens à l’œuvre aboutie. »

Les teintes naturelles, plus douces, remplacent alors les couleurs vives et acides. Les fleurs, les regards, les mains tendues et bras agrippés qui racontent nos liens et nos attentes, disparaissent. La question de la liberté, toujours centrale, quitte le champ de la sociologie pour celui de la métaphysique. C’est notre immanence au monde qui est interrogée. Les corps libérés se dessinent dans la poussière, s’assimilent à la fragilité et l’insignifiance du grain de sable, redeviennent matière. L’artiste explore nos racines les plus profondes, au milieu des fibres, dans la terre et la boue ; cette orgie d’où nous venons et à laquelle nous retournerons, pour ne laisser que la matière brute, seule réalité irréductible.

L’art de Fred Theys est l’expérience spontanée d’un artiste dont le corps et l’esprit sont tout ouvert au monde. Sorties de toutes codifications de l’Art Contemporain, ces œuvres sont aussi une expérience directe vers le public. Pour nous qui présentons ce travail avec grand plaisir, il s’agit de faire un pari, celui de l’émotion.

Laetitia Espanol

Première Mystères

Ce que vous voyez n’est que le miroir de votre âme.

Mon travail, quant à lui, s’attache à restituer dans l’image la part d’invisible et de transcendance qui lui était originellement dévolue. En effet, l’image – religieuse en particulier – était le simulacre de quelque chose qui la dépassait et qui était irreprésentable : un être disparu, un évènement advenu, une idée, une essence, une réalité inconnaissable par la vue. L’image avait en ce sens à la fois une dimension profane et sacrée.

L’utilisation de la photographie numérique me permet de composer des images à partir d’une réalité que je manipule pour créer des tableaux de facture hyperréaliste. Le souci du détail, quasi maniériste, aboutit à un résultat auquel la peinture ne saurait parvenir car elle ne peut intégrer le produit technologique. Lorsque la mise en scène n’a pas été possible en une même prise de vue, le photomontage, le travail de la lumière et de la perspective sur ordinateur me permettent de mettre en présence des éléments réels et des éléments fictifs, et de cette rencontre naissent des scènes fantastiques.

Présence de l’absence.

Néanmoins, quelque chose frappe lorsque l’on regarde l’ensemble de mes tableaux : d’aucuns d’entre eux ne se dégage un « message » unique qu’il soit marchand, social, politique, religieux ou même philosophique.

Ils adoptent un langage qui s’adresse davantage à l’imagination, c’est-à-dire à la faculté de produire des images mentales ou de reconnaître des éléments iconographiques déjà vus. Mais quelque chose dans les tableaux sollicite, en deçà de l’imagination, les sentiments et l’intuition : ce n’est pourtant pas ce que l’on peut y voir, qui semble appréhendable par l’imagination, c’est bien quelque chose au-delà de l’image.

Une chose est sûre : le contraste entre le réalisme formel de ce qui est présenté et l’absence de toute référence contextuelle à notre réalité prosaïque invite le spectateur à chercher la source du sens non pas dans ce que l’image montre, mais dans ce qu’elle ne montre pas. En effet, les lieux symboliques que je mets en scène sont avant tout des espaces mentaux. Ces scènes désolées et mystérieuses, ces lieux éloignés de pouvoir – puisque nous y sommes assujettis – sont le cadre, ou plutôt le champ allégorique, dans lesquels les principes de vie et de mort se confrontent et s’embrassent dans une danse fatale qui transcende l’image : soit précédent, soit suivant la scène visible, soit hors- cadre, soit visible par défaut de visibilité, ou encore dans un horizon fuyant, mais toujours suggérée par une esthétique du clair-obscur, la source de cette agonie – du grec agônia, « lutte » – est au-delà de l’image.

Je souhaite que chacun puisse faire l’expérience du Mystère, une expérience de dépouillement absolu.

C’est un sentiment que certains compareront à la foi religieuse, mais celui-ci ne nécessite pas de trouver, seulement de chercher. Il est donc accessible à tous, et surtout à ceux qui doutent. Il peut provoquer le vertige et la terreur, mais laissez entrer ces facteurs d’anéantissement, et le Mystère ouvrira l’univers en vous. Vous ne serez plus jamais seuls.

Vivien Racault, extrait du catalogue d’exposition « Mystères »