Frantz RAUX

J’ai choisi l’estampe pour raconter cet artiste dont trois œuvres figurent au catalogue de l’artothèque.

Le 11 mai 2018 une lumière diffractée en couleurs est sortie de ce monde, la fin d’une vie de peinture incessante, inquiète, tourmentée, une poétique imagière unique, flamboyante.

Frantz est mort, il avait 48 ans.

Depuis 20 ans Frantz, repeignait inlassablement les carrés de son exposition de 1994 à Champ fleuri ; détruisant, reniant, il avançait vers une œuvre déstructurée, plus radicale, brutale… dont nous n’avons malheureusement aucune trace.

« Vous faites partie de moi » – Frantz Raux
Epreuve d’artiste 1990

Au commencement était le jeu de ballon, trois personnages de profil, un groupe de femmes à gauche, à droite un grand homme.

L’homme est figuré comme un grand tube, habillé d’un short, « un ti culotte », de chaussettes tricolores et de chaussures à crampons, du milieu de sa taille part un bras ? tenant des billets verts, de sa taille aussi partent des mouvements, formant un B, qui au bas touche le ballon de foot avec une apparence de sexe masculin.

Une baguette raide, mince et droite coiffée d’un chapeau colonial s’agite, les mots « la France » s’écrivent en vertical à l’encolure.

En face un même mouvement en B inversé envoyé par un personnage féminin, le plus petit des trois, sur sa tête un « cavadee » décoré d’une fleur de canne, figure dans une mandorle de sexe féminin.

Autour de la jeune femme ou petite fille, se projettent de nombreux écrits, toujours verticaux :

« La Réunion », « football », « vanille », dans les mains une bouteille de rhum et dans l’autre une pièce frappée d’un F (franc), son corsage rose s’allie à une jupe que l’on devine enrobante de tissu, siglée du F en médaillons en son milieu.

Ses pieds nus, ses cheveux longs noirs, couronnent un visage bijouté du nez à l’oreille comme dans la tradition malabar.

Le personnage féminin qui termine le trio, est une grande figure féminine, portant sur la tête un panier de fruits(bananes), la pointe de ses seins hérissée de pointes de cactus, les cheveux ensachés par un foulard ?.

Le vêtement se sophistique en bandes de couleurs jusqu’aux pieds chaussés de « savates deux doigts ».

Deux bandes latérales de pièces gravées de la lettre F ornent le vêtement du haut. A partir de la taille, ce sont des billets verts, les mêmes que tient l’homme, la décoration se finit en ronds jaunes siglés du F.

Le tableau est composé comme une enluminure: fond d’or, personnages de profil, une histoire qui se raconte.

Les traits du dessin en noirs délimitent les formes, remplies, à leur tour d’aplats de couleurs, de griffures de pierre, d’ombres portées, d’éraflures de craies, de pastilles de pointillés qui seront sa marque durant les années 2000.

Les visages sont esquissés, les bouches volumineuses. Tout est raide, droit, roide, les mouvements sont scandés par le langage de la couture.

Toute sa vie Frantz va employer les signes de la couture. Son dessin est parsemé de boutonnières, les traits noirs sont doublés ou triplés de pointillés symbolisant le bâti de couture, le surfilage, déjà les prémices de broderies sont apparentes.

Sur l’image suivante il va en saturer l’espace.

Sans Titre – Frantz Raux
1990
 
Frantz aimait la mode, sa mère couturière, les vêtements, les tissus.

En 1991 l’Association pour la Diffusion de l’Art Plastique Africain Contemporain (ADAPAC) lance un concours pour le cinquantenaire de la Caisse de Coopération Economique, Frantz remporte le premier prix: son tableau est édité en estampe.

Quel humour pour des banquiers !

« La Sainte famille » parodie une rencontre biblique sous le signe de l’argent. L’argent le roi du monde. La France, l’Afrique et au milieu la Réunion, chacun se parant des attributs de sa légende.

Parade nuptiale mortelle pour « indigènes de la république »? Figures érotiques de l’aliénation, une sexualisation très forte colore la scène. Mais qu’en est-il de l’économie relationnelle, dans un marché de dupes, ou contre le pouvoir de l’argent, l’autre se dépouille de son identité pour se parer des colifichets de son maître ?

Le monde a longtemps tourné dans une vision maritime de conquêtes, des vaisseaux gonflés d’orgueil ont propagé l’aliénation à une religion de l’échange trompeur.

Frantz voulait-il dire cela ? Je ne sais pas, je le lis avec mes croyances, mon impulsion, c’est mon tropisme. Le tableau est élaboré, fini par le voyeur, c’est le regard qui fait le voyage.

Alors bon voyage à vous dans les œuvres de l’artothèque.

Dominique Calas-Levassor