SANS TITRE

Numéro d'inventaire : 1992.48.01
Auteur : PONGERARD Eric
Date de création : 1992
Domaine : Sculpture
Matière technique : Sculpture en basalte
Mesures :
Dimensions de l'objet en cm : 154 x 30 x 15
Description analytique : Eric Pongérard fait partie des quelques artistes qui vivent exclusivement de leur création dans l'île. Fils d'un éclateur de pierre, cet autodidacte s'est allégrement lancé sur les traces paternelles, avec une maîtrise du basalte, mais aussi de divers matériaux comme le fanjan, le corail, le marbre et différents métaux. Professionnel depuis 1980, le sculpteur a progressivement délaissé un style figuratif chargé d'éléments décoratifs en volutes et arabesques, pour une expression plus sobre proche du minimalisme. En 1991, lors de deux événements plastiques importants, « Bâtissage » à Jeumon et la première triennale d'art contemporain à la Galerie Vincent, il offre au public ses œuvres toutes en angles et lignes, construite dans de la ferraille de récupération - travail qui lui vaudra, une année plus tard, une bourse « Ambroise Vollard » octroyée par le Conseil Général -. Les totems de basalte qu'il expose à l'espace culturel de Champ Fleuri en 1992 témoignent également de ce tournant décisif dans son travail qui coïncide avec l'installation de son atelier dans le centre d'art contemporain de Jeumon où la rencontre avec d'autres artistes lui fut hautement profitable. En 1993, il présente à l'Artothèque, dans le cadre de "Nouveaux Mondes", ainsi qu'à la Villa Blanche à Paris, une série d'installations sur le concept du territoire : symboliques multiples et formes épurées dans un espace défini et composé de divers matériaux issus de l'île ( bois de camphre, le basalte, les scories et le charbon ...). Ce concept du territoire, ainsi que ceux de la mémoire des matériaux (ce qu'il nomme "mémoire géologique") et de la pérennité de la nature sont devenus des constantes dans sa réflexion. On les retrouve dans les "galets éclatés" présentés au Maïdo en novembre 1994, lors de l'exposition "lieux de mémoire": un travail sur l'empreinte de la terre et celle de l'homme. Cette œuvre, série de galets fendus en deux, alignés et reliés entre eux par une longue traînée de cendres, confirme de manière radicale "l'idée de nature" présente de manière constante dans sa réflexion et qui trouve ici son expression la plus mûre, que l'on rapprochera volontiers de l'Earth-art et du Land-art. Mémoire géologique et sensibilité paysagère L"'idée de nature" est une constante dans le travail de Pongérard. Présente de manière latente dans ses toutes premières œuvres, elle devient rapidement l'épicentre de sa réflexion et de son travail. "La nature est mon maître à penser" dit-il. Il veut réapprendre aux gens à percevoir les éléments du paysage avec un autre regard que celui de nos sociétés de (sur)consommation et (sur)communication. Mémoire "Mon travail met en avant une mémoire géologique. La seule vraie mémoire qui ne risque pas d'être détournée par l'Histoire est celle de la nature. Celle de l'homme, transmise de génération en génération, a été transformée, façonnée par le politique. La mémoire naturelle incarne pour moi la pureté. A La Réunion comme dans le monde entier, la nature est faite de couches successives". Paysage "Je ne fais que mettre en situation des éléments déjà existants dans le paysage. Je parle à ce moment là difficilement de création, puisque je ne fais que souligner des choses déjà créées. Ce constant rapport de forces présent dans la nature m'intéresse: dans les forêts de l'île, les bassins, les ravines, le minéral et le végétal s'affrontent. Le processus d'érosion qui entraîne l'île à la mer, d'où elle resurgit sous forme de lave incandescente constitue pour moi une source de réflexion. Nous n'avons plus conscience aujourd'hui de toutes ces forces qui s'exercent autour de nous. Les jeunes générations ont perdu ce rapport direct avec la nature. En tant qu'artiste, je tente de donner du monde une autre perception." Propos recueillis par Patricia de Bollivier

Exposition :
Référence : Sculptures ODC Saint-Denis 08/10/1992 15/11/1992
Date de début : 1992-10-08T05:38:56.000000Z
Date de fin : 1992-11-15T05:38:56.000000Z
Description : Au début du commencement on se demandait si Eric Pongérard n'allait pas devenir ébéniste ou tailleur de pierre. Justement son père l'était, tailleur de pierre. Ça crée des liens avec la matière. Au début du commencement, avant, Eric Pongérard avait de tout petits bras et le même genre de biceps que vous et moi. Autant dire presque pas. L'homme est devenu un sculpteur rongé par l'art, et un monstre musculeux. A force de taper de son burin sur la pierre et le bois, sa morphologie a pris des couleurs. A force d'à force, sa sculpture a pris un envol que bien peu soupçonnaient capable d'autant de puissance. Lorsque j'ai rencontré Eric Pongérard, il montrait des pièces qui tenaient plus de l'école Boulle que du musée d'art contemporain. L'homme cherchait dans le regard du spectateur reconnaissance et compréhension. Il créait de jolis objets pétris d'habileté. Sa formation artisanale avait pris le dessus. Le détail anecdotique envahissait tout. Il y avait surcharge, surbooking d'idées dans chaque œuvre. Et puis un jour il s'est installé à Jeumon (Saint-Denis). En même temps qu'il acquérait un atelier digne de son talent, sa sculpture prenait un virage prodigieux. Ça a commencé par des sculptures de métal qui trouvaient leur origine dans une commande de la Ville de Saint-Denis dont l'artiste est le digne enfant. Cette commande trône aujourd'hui sur une place du Chaudron ... et fit des petits. Ces derniers furent présentés à Bâtissage, exposition de sept plasticiens contemporains parmi les plus importants du moment. C'était l'année dernière. Eric Pongérard a poursuivi sa recherche en essayant plusieurs voies. Le métal (suite) à l'exposition de la Maison du Monde (Saint-Denis), le bois qui reste toujours dans ses doigts terriblement vert et celle de la pierre, compagne de la vie de son père. On peut rester persuadé que chacune de ces matières reste profondément ancrée dans les fibres de son talent. Mais bon sang ne saurait mentir. C'est incontestablement dans la pierre qu'il aura trouvé deux des données fondamentales de son évolution de sculpteur : l'unité et la sobriété. La maturité, quoi. L'exposition qui s'offre à vous est l'aboutissement de cette recherche. Si j'ai, personnellement, toujours été un peu dubitatif vis-à-vis de l'œuvre d'Eric Pongérard, c'est essentiellement à cause de sa dispersion. L'artiste se cherchait et semblait avoir beaucoup de mal à concevoir une seule idée à la fois. Pire, il ne se donnait pas le temps d'user jusqu'à la corde ses sujets. Or l'on sait bien que c'est à ce moment-là, qu'au travers de la trame, apparaît la suite logique de la création. C'était sans compter avec la qualité de l'artiste. L'anecdote a complètement disparu et les sculptures d'Eric Pongérard éclatent dans toute la force de leur beauté et de leur expression pure. Acteur de la recherche identitaire réunionnaise, Eric Pongérard est influencé par le questionnement sur l'esthétique religieuse à la Réunion. Ses totems de basalte allient le cœur de la montagne à l'élévation spirituelle. C'est comme la musique dont il est si friand. Oui, comme une musique qui se tord harmonieusement tout en restant cohérente avec elle-même pour monter toujours plus haut, s'étaler toujours plus large. J'ai toujours connu Eric Pongérard passionné par la matière et par le mystère du cœur de la pierre. Il trouvait si beaux les galets que charrient les ravines ... Beaux de l'extérieur. Perfection de la nature aussi bien dans les teintes que dans la forme. Lisses et ovoïdes comme des œufs. Le mot est lâché. Il pensa à ses galets comme à des œufs de montagne et voulut s'en faire une omelette. Il brisa les œufs et fut émerveillé par l'intérieur qui révélait une richesse insoupçonnée. Des cristaux de soufre, de mica ou autres, de teintes différentes, intimement liés au basalte variaient la matière. Il fut touché par le contraste des teintes dehors et dedans, du lisse de l'extérieur avec l'aspect brut de l'intérieur. Si cette régularité de la coquille est reproductible par l'homme, il n'en est pas de même de la brutalité de la pulpe. Elle est d'une originalité et d'une complexité que la main de l'homme ne peut que détruire. Pour suivre le fil de l'incrustation de matériaux les uns dans les autres, il s'arma de résines de plastique et inséra artificiellement des veines de couleur dans les coquilles. On aurait pu croire que l'étape justifiait l'exposition. Mais non. L'œuvre véritable allait venir à partir de cet instant. Des œufs naquirent les formes envolées que vous contemplez. Eric Pongérard, probablement limité par la dimension des galets, les accoucha de colonnes dressées comme des êtres debout, comme des âmes gardiennes de l'harmonie, témoins des questions modernes de l'île. L'artiste nous montre que le Réunionnais est comme sa montagne. Il a une façade toute lisse qui cache une richesse qui ne demande qu'à être mise à jour. Il ne souhaite pas perdre la qualité de cette apparence extérieure, mais a besoin que l'on puisse briser la coquille par endroit afin de laisser apparaître la réalité et l'infinie richesse de l'intérieur. La douce joliesse de la patine extérieure ne doit pas masquer la brutale richesse du cœur. Cette dualité complémentaire n'est-elle pas très exactement la traduction du stade d'émancipation de la Réunion d’aujourd’hui ? N'est-elle pas dire le cœur des hommes de l’île ? Eric Pongérard sculpte la cambrure des reins de la culture réunionnaise, avec attitude. Cela devient une symphonie magnifique. Violente et passionnelle, tendre et élancée, sociale et spirituelle. Ses sculptures sont abstraites comme la sensation d'être, brutales comme une morsure d'amour, torsadée comme la spirale du danseur de maloya. Eric Pongérard allie une technicité incontestable au propos d'être réunionnais. Il transcrit le questionnement identitaire dans la pierre de son île. Et dans la modernité de ses résines de plastique fait passer la lumière de l'avenir pour illuminer d'énergie nouvelle le limon originel encore trop peu connu ou reconnu. Laurent Segelstein, extrait du catalogue d’exposition « Eric Pongérard, sculptures », ODC, 1992


Mots clés :
représentation non figurative -